L’épidémie COVID-19 entraine essentiellement une crise sanitaire, mais avec des effets collatéraux qui sont déjà visibles. Tout d’abord l’émergence d’une crise économique mondiale qui s’est très vite installée, mais aussi dans certains pays, comme la Hongrie, une crise politique ou la survie d’un média indépendant est sérieusement menacée. L’article d’Ágnes Urbán nous le relate.
L’épidémie du coronavirus pourra avoir un effet destructeur sur le média indépendant hongrois. Les modèles d’affaires déjà déstabilisés se sont écroulés, les campagnes de publicité sont à l’arrêt, et la crise entraine l’existence de nombreuses familles dans l’insécurité, tout en diminuant d’autant plus leur pouvoir d’achat, ce qui implique entre autres la chute de vente des médias. Ce phénomène peut, dans un futur très proche, environ 2 à 3 mois, fortement menacer le sort des rédactions indépendantes, car ces rédactions ne sont pas soutenues par des propriétaires ayant de gros capitaux. On peut donc facilement se rendre compte que, bien avant sa disparition économique, le média vivant des recettes de ses ventes peut cesser de fonctionner. L’évolution de ces derniers jours nous permet de conclure, que le parti politique au pouvoir exploite déjà cette crise mondiale pour tout faire pour éliminer celui-ci.
Les informations sur l’épidémie ont pu être relayées surtout grâce aux médias étrangers. Comme partout en Europe, du fait de l’épicentre de l’épidémie dans l’Italie du Nord, les informations sur le coronavirus sont devenues de plus en plus visibles. La Hongrie est un cas spécial en un sens, par le fait que l’escalade de l’épidémie n’a été essentiellement couverte que par ce média indépendant, le média gouvernemental ayant minimisé son importance le plus longtemps possible. Pour le démontrer on peut prendre pour exemple cet article d’András Bencsik, l’éditeur en chef du magazine pro-gouvernemental « Demokrata » :
« Ah, c’est une épidémie de ouf ! En parlant de celle qui s’est diffusée grâce au média. Comme s’il fallait lancer une campagne pour alerter la population, avec une propagande bien élaborée, allaient-ils être capables de faire croire aux hongrois qu’il s’agit d’une pandémie dévastatrice, sachant qu’il n’y a aucune pandémie dans le monde actuellement, pas une trace ? Bien sûr ! » (Le 6 mars 2020)
Sauf qu’au bout d’un moment le gouvernement hongrois a aussi réalisé la gravité de la situation, et qu’il a proclamé la patrie en danger, le média pro-gouvernemental commençant à traiter le sujet de l’épidémie de plus en plus sérieusement. Ce pouvoir a néanmoins débattu des causes de cette épidémie, en évoquant son origine chez des étudiants iraniens, qui ont été déclarés patients zéro, et en tentant d’établir une problématique de la situation sanitaire strictement liée à l’immigration. Le média indépendant, quant à lui, a tenté de documenter les problèmes logistiques de la gestion de l’épidémie par le gouvernement en Hongrie : le nombre insuffisant de tests réalisés et le manque de tenues protectrices et de masques. C’est grâce à ce média indépendant qu’il a été découvert – alors que le média pro-gouvernemental n’a parlé que des étudiants iraniens -, qu’un jeune homme s’était rendu de lui-même à l’hôpital pour bénéficier du test du coronavirus. Sa demande a été refusée, et son père est ainsi devenu le premier patient hongrois atteint par le coronavirus. Par la suite ce fut le média indépendant qui découvrit plusieurs cas en rapport avec des problèmes méthodologiques du tests ou en rapport avec des équipements insuffisants mis à disposition des employés sanitaires.
Des milliers de citoyens sont devenus plus vigilants suite aux informations diffusées par ce média indépendant, et ont décidé volontairement d’éviter d’être regroupé le plus possible, des sociétés ont aussi essayé de faire pression sur leurs employés afin qu’ils utilisent le télétravail. Il n’a jamais été prouvé que les articles publiés dans le média grand public était des “ fake news”. Cependant il est à noter que ce sont ces articles qui ont entrainés une prise de conscience de la population de la gravité de la situation.
Le gouvernement a lancé ainsi sa première attaque spectaculaire contre ce média indépendant lors d’une conférence de presse le 15 mars, lorsque le secrétaire d’état, Zoltan Kovacs a répondu à un journaliste du news portail 444.hu d’une manière hautaine disant que l’équipe de 444.hu et d’autres médias indépendants ne sont pas censés être plus expertes par rapport aux autorités en charge de la gestion de l’épidémie. La question du journaliste s’intéressait au protocole d’application du test sur Sándor Pintér, ministre de l’intérieur (qui avait eu récemment une entrevue avec un ministre marocain, diagnostiqué positif à l’infection COVID-19 quelques jours après), et aussi sur pourquoi ne testent-ils pas les employés sanitaires qui traitent des patients atteints de manière certaine par l’infection au coronavirus ? Le secrétaire d’état n’a pas donné de réponse valable. (La situation étant d’autant plus absurde, sachant que le 15 mars est une des fêtes nationales hongroises, la journée de la presse libre, ce qui rend cet aparté vraiment symbolique.)
Nous avons également pu nous rendre compte d’un événement notable le 18 mars, lorsque le média pro-gouvernemental s’est occupé de manière ciblée du lancement d’une campagne de collection de dons par les portails 444.hu et index.hu. La position vulnérable de ces médias est connue par le public, sans qu’il soit nécessaire d’expliquer qu’ils ont besoin de ces revenus – cependant la campagne a finalement été présentée par le portail de news origo.hu (fortement soutenu par des recettes publicitaires en provenance de l’état – le lien référence du contenu en anglais) :
« Index a voulu récupérer de l’argent sur le dos du peuple, afin qu’il puisse aborder leurs deux sujets de prédilection et diffuser des fake news concernant l’éducation publique et le système de santé. »
La série d’attaques contre le média indépendant a atteint son apogée le 20 mars, lorsque la chaîne HírTV (qui fait partie du média holding nommé « KESMA » – Fondation du Média et de la Presse de l’Europe Centrale, qui détient le portefeuille des journaux, magazines et portails web, et qui est dirigée par un conseil délégué par le parti politique au pouvoir, Fidesz) a diffusé une émission avec deux invités « influenceurs pylônes » pro-gouvernementaux, Márton Békés, éditeur en chef, et Gábor Megadja, le chercheur principal de l’institut de recherche et de sondage « Századvég », très proches du gouvernement. Le motif essentiel de cette conversation était la mobilisation contre le média indépendant, entre autres nous avons pu entendre de telles phrases :
« Nous devons nous poser la question : qui soutenons nous ? Moi, je vois que certains canaux exprimant la voix de l’opposition ne soutiennent pas la nation hongroise, ni l’Europe ou même l’économie hongroise, mais ils soutiennent ouvertement le virus. Donc dans ce cas, il s’agit de collaborateurs du virus. Qu’est-ce que nous sommes censés faire avec cet état de fait, notamment plus tard, j’en resterai là. »
« Je pourrais proposer leur arrestation dans une telle situation critique. »
Finalement, il y a une mobilisation spectaculaire contre le média indépendant de la Hongrie depuis quelques jours. Cette mobilisation est beaucoup plus grave que la machinerie « habituelle » en provenance de la propagande, surtout car l’enjeu généré par l’épidémie est plus grand que jamais. D’autre part les menaces de conséquences pénales et d’arrestation sont devenus inquiétants. Péter Magyari, journaliste de 444.hu a rejeté les accusations de la propagande gouvernementale dans son article paru le 20 mars, intitulé « En conscience de notre responsabilité » (suivez le lien pour la traduction anglaise de l’article), et il a affirmé que leur activité professionnelle s’effectuait toujours selon les codes du journalisme.
Le danger final n’est pas l’aggravation de l’opposition entre les journalistes indépendants et les propagandistes. C’est la modification prévue du Code Pénal qui va fondamentalement bloquer le travail des journalistes, et de ce fait la communication humaine.
« Si en temps de législation exceptionnel, une personne constate devant le grand public un tel fait irréel ou un fait réel tellement détourné, afin qu’il soit utilisé pour bloquer ou pour empêcher la défense, et qui peut alors être criminellement dénoncée et emprisonné pour une durée de 1 à 5 ans. »
La modification envisagée du Code Pénal imposera avec cette stratégie gouvernementale les sujets qui vont être abordés, et ceux qui peuvent être criminalisés. Ceci ne pose aucun problème, si la communication de l’état est transparente et si elle présente des données réelles. Par contre, si la communication gouvernementale choisit de cacher les dimensions réelles de l’épidémie comme stratégie de communication, car celle-ci semble être politiquement plus lucrative, alors les journalistes ne seront plus autorisés à présenter la réalité, même s’ils possèdent des informations vérifiées, unanimes, venant de sources multiples. N’importe quelle publication de données peut être rejetée en la labellisant comme chiffre dénué de tout contexte, comme des faits détournés, et même si plusieurs mois plus tard les tribunaux ne valident pas les charges contre les journalistes, cette législation altérée va probablement décourager les journalistes et les propriétaires du média indépendant. Bref, si les journalistes publient la vérité, s’ils pratiquent leur travail d’’information sérieusement, ils risquent une détention de 5 ans.
Étant donné que le gouvernement définit les nouvelles publiées par le média indépendant comme fake news, il y a une forte probabilité que la nouvelle législation ne sanctionne pas les émetteurs des véritables fake news, et qu’elle rende impossible le journalisme indépendant. En suivant la communication gouvernementale ces jours-ci, il est facile de noter que toutes les informations couvrent les interventions gouvernementales réussies pour faire face à l’épidémie. Cette image est bien altérée par les articles et reportages relatant des problèmes systématiques rencontrés dans la lutte contre l’épidémie, et cela présente un risque politique évident pour le parti au pouvoir. On n’a même plus besoin que le gouvernement qualifie un news de fake news, car en situation de danger « le fonctionnement d’une société peut être placé sous le décret suprême de l’État Hongrois » (loi CXXVIII de 2011 sur la prévention des catastrophes et sur la modification de certaines lois relatives, 48 § (1)). Autrement dit après avoir mis en place la nouvelle législation, l’état peut intervenir sur n’importe quelle rédaction. La situation sera d’autant plus lourde qu’il y aura impossibilité effective à déterminer la nécessité et la proportionnalité de ces décisions.
Le 21 mars a été publiée une telle proposition sur le portail web de l’assemblée nationale, qui donnera le pouvoir absolu au gouvernement hongrois et qui mettra le fonctionnement de l’assemblée nationale en suspens. De plus, cette période peut être prolongée par une simple décision du gouvernement, donc on peut facilement retomber dans la même situation proclamée en 2016 en rapport avec la crise provoquée par l’immigration massive (c’était la crise migratoire). Même s’il n’y a plus de crise migratoire en Hongrie depuis un bon moment, le gouvernement étend ce statut chaque semestre depuis 2016.
La législation exceptionnelle proposée par ce gouvernement, instituée selon leur propre modalité peut provoquer la disparition du moyen plus important de son contrôle : l’assemblée nationale, qui sera remplacée par la gouvernance décrétale. Cette situation pourrait être prolongée au gré du gouvernement, car pendant la période de crise il n’est plus possible d’organiser des élections parlementaires. Avec une telle décision ce sera la fin de la démocratie parlementaire en Hongrie. Personne ne sera surpris si c’est le média indépendant la première victime de cette nouvelle législation, et si l’on s’appuie sur l’historique de la décennie précédente, il s’agira alors de toutes les institutions en rapport avec l’état de droit.